Monsieur Albaroc
- Citation :
- Nous avons tous appris à lire et à écrire, mais nous n’avons jamais appris à voir, n’estimant pas, à cet égard, qu’une initiation fût nécessaire.
C'est malheureusement vrai.
- Citation :
- L’Algérie a inspiré effectivement beaucoup d’artistes- peintres célèbres : Delacroix, Ingres, Chassériau, Fromentin, Liotard, Renoir, Matisse etc…
A mon avis, celui qui s’est réellement intégré afin de peindre « chez l’habitant » c’est Etienne DINET.
Que pensez-vous, Santonia, de cet ancien élève de Bouguerau qui s’est installé à Bou-Saada pour entrer en sympathie avec le petit peuple arabe qu’il a su représenter avec sincérité et un grand métier, sur des toiles au charme et à la vérité extraordinaires saluées par son ami le poète arabe Slimane Ben Ibrahim ?
Les connaisseurs du début du XXe surnommaient cet Etienne DINET devenu Nasreddine DINET : le peintre arabe…
Est-ce pour cette raison que nombre d’historiens et de critiques "oublient" souvent de le citer dans leurs éditions ?…
Il est vrai que l'ensemble des artistes ayant, à cette époque, représenté l'Orient n'ont pas obligatoirement voyagé dans les pays du Moyen-Orient. Cependant, la majorité des peintres dit orientalistes tels que Delacroix et d'autres ont entrepris de longs voyages dans les pays du Maghreb pour en rapporter de nombreux carnets de croquis. Croquis dont-ils se servirent pour la composition de leurs peintures une fois revenu au pays.
Comme vous le dites Étienne Dinet abandonne le registre de ses premiers thèmes, surtout le nu, pour se consacrer à explorer la condition humaine des bédouins, et pour cela il va s'intégrer chez l'habitant. Sa peinture traduit à la fois l'âme de son modèle et les couleurs locales vibrant sous la lumière saharienne. Il en résulte une œuvre esthétique et humaine.
C'est la bourse pour l'Algérie qu'il obtient en 1884 au Salon des Arts plastiques du Palais de l'Industrie, pays qu'il avait déjà visité en 1883, qui va changer son destin. Il restera en Algérie cinq ans.
A son retour à Paris en 1889, il présente à l'Exposition Universelle une série de toiles réalisées à Bou-Saâda, ce qui lui vaut une médaille d'argent. Subjugué par la magnificence du Sud algérien, il entreprend en 1905 un autre voyage, et s'installera à Bou-Saada la cité du bonheur, pour y vivre définitivement.
Avec l'aide de son ami Slimane Ben Brahim Baâmar, il parcourt le désert et se familiarise avec les tribus nomades et bédouines, découvrant la tradition arabo-berbère. Ce qui le poussera à aimer puis à se convertir à l'Islam en 1913 en devenant Nasreddine Dinet.
On peut imaginer son premier contact avec cette nature où son regard de peintre était soudain saisi par un paysage inaccoutumé fait de vert sombre et d’ocres vifs.
Il se fait croyant et militant. Il s'appellera désormais Nasr-Eddine Dinet. C'est la rupture avec son milieu et sa famille. Mais cette rupture était en fait déjà consommée par le militant.
On sent le chant des couleurs qui a monté dans son âme d’artiste, lorsqu’il gravit -pour la première fois- ce raidillon qui conduit, de l’autre côté de l’Oued, à l’endroit où se trouve aujourd’hui son mausolée. Et sa minute d’extase quand son regard découvrit de là un plus large horizon.
D’abord le lit de l’oued où les entonnoirs qui gardent l’eau après chaque pluie mettent ça et là des tâches vertes sur son fond fauve rocailleux.
Plus haut, la couronne plus sombre de la palmeraie qui s’étage en face.
Au sommet, cette ligne fauve des maisons de toub du vieux Bou-Saada. Et par une brèche au sud de l’oasis, l’étendue imprécise qui se perd dans le lointain d'où vient l’appel qui saisi tant d'âmes.
"Ne commets pas le pêché d'avarice, o Raouacha ! Le créateur t'a généreusement comblé d'exquises beautés, crois-tu que ce soit pour les dissimuler à tous les regards ? Le brodeur habile et patient, qui fait étinceler sur le cuir ou le velours des bouquets de fleurs d'or, se donnerait-il toute cette peine, si son oeuvre ne devait recevoir l'admiration du soleil et des yeux de la foule !
Mais il sait qu'elle resplendira devant eux sur les gestes du cavalier intrépide ou sur les selles et les harnachements des vainqueurs de l'air". Etienne Dinet, Mirages
Il n'est pas seulement un peintre dont la vocation puissante va se réveiller ici. Il n'est pas seulement le poète qui s’abandonne à l’envoûtement d’un mystérieux appel. Il est tout cela. Il est aussi beaucoup plus. Dans l’oasis, il y a une vie humaine qu'il découvrira en parcourant ses ruelles tortueuses. Cette vie a ses propres couleurs, qui parlent aussi au poète, au peintre. Dinet restera le pinceau qui a donné à ces formes et à ces expressions l’accent le plus touchant. Son nom restera celui du meilleur peintre de la vie du Sud.
La rencontre avec cet Eden, en réalité inespéré, était ce qui pouvait arriver de mieux alors à Dinet. Sans doute, n’aurait-il pas été homme à conduire les rudes batailles contre le conservatisme des institutions académiques dont pâtirent des génies tels Paul Cézanne ou Vincent Van Gogh. Gauguin s’en alla aussi, mais pour d’autres raisons que celles de Dinet dont la découverte de l’Algérie sera une passion et une initiation, un accomplissement identitaire en fait.
Dinet fût lui-même à partir du moment où il découvre Bou Saâda. La ville, ses lieux les plus symboliques, sa population autochtone sont la révélation qui va accélérer chez lui le processus de la création qui, peut-être, était en attente du coup de pouce du destin. Dinet s’installe à partir de ce moment-là dans une algérianité que confortera sa conversion à l’Islam.
Cet esprit rationnel avait trouvé un chemin de lumière que la vieille Europe, austère et chagrine, ne savait plus offrir sauf à fabriquer la révolte humaine et sociale. Aujourd’hui, l’itinéraire de Dinet est exemplaire d’un raccord avec une actualité qui se focalise sur le dialogue des civilisations. Quelle est pourtant la place de cet artiste dans le pays qu’il avait choisi et qu’il avait si admirablement décliné dans son œuvre peinte ou romanesque ?
"Elle s'appelait Nakhla, son sourire était doux comme l'aurore et dans Bou-Saada on enviait celui qui possèderait cette rose parfumée. Dans les vers qu'ils chantaient en son honneur, les poètes disaient:
O Nakhla, ta beauté resplendit comme le soleil ! Retire-toi, car deux soleils dessècheraient le monde".
Etienne Dinet, Le printemps des coeurs
"Bou-Saada mérite son nom plein de promesses; si le paradis est dans le ciel, certes il est au-dessus de ce pays, s'il est sur terre, il est au dessous de lui.
Ses femmes sont charmeuses par leurs paroles et leur beauté; coquettes dès leur premier âge, elles savent se parer, chanter et danser à ravir la raison..."
Etienne Dinet, Le Désert
Nul hommage ne lui est rendu et cela conduit à une occultation d’un itinéraire que la mémoire collective est en droit de s’approprier. Il reste pourtant l’association intangible des noms d’un peintre et d’une ville. On ne peut citer Dinet que pour en reférer à Bou Saâda, cette cité où s’incarnent les vertus, familières aux Algériens, de l’hospitalité et de la tolérance. Bou Saâda accepta Dinet car sans doute l’artiste ne posa pas sur la ville le regard de l’autre. Elle le reconnut comme l’un des siens.
S'étant converti, il a pris parti en devenant un militant contre le colonialisme, ce qui lui a valu des inimitiés. Et cependant, l'Algérie ne rend pas à Dinet les honneurs qui devraient lui revenir. Il ne reste plus à Dinet que son mausolée maintenant séparé du reste par un mur sans crépissage. Et dans quel état ?
Un joli poème du regretté Jean Cianfarani, écrit en 1963
Les Colonialistes
Voilà un an déjà, sur les quais de Port-Vendres,
Je regardais songeur, des larmes plein les yeux,
Un bateau accoster ... et j'en ai vu descendre
De gros capitalistes, des jeunes et des vieux...
Les Comités d'accueil étaient déjà en place
C'est grand, c'est généreux, je le savais, la France
La Croix-Rouge, était là ... d'officiels pas de trace,
A part les CRS, mais sans armes, nuance...
Il y avait aussi, pour accueillir ces hères,
Le Secours Catholique, une Oeuvre d'Israël,
Mais j'ai cherché en vain d'un fameux Ministère,
Quelque représentant ... Incroyable et réel !
je les ai vus descendre du bateau de l'exil,
Ces gros capitalistes ... avec pour tout bagage
Qui, un vieux chat pelé, qui une vieille cage,
Et les plus fortunés un tourne-disque à piles
Je les ai vus descendre comme un troupeau vendu
Je les ai vus parqués, dans les halls, sur les quais.
Je les ai vus pleurant, certains à moitié nus,
Ces gros capitalistes... dont on a tant parlé.